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Coccinelle, demoiselle...


« Coccinelle, demoiselle Bête à bon Dieu Coccinelle, demoiselle Vole jusqu’aux cieux Petit point rouge Elle bouge Petit point blanc Elle attend Petit point noir Coccinelle, au revoir »

Johan était assis au bord de la rivière. La vieille barque clapotait mollement contre la berge. Simplement décorative depuis au moins des décennies. Bruyants, quelques canards étaient en train de s'en servir comme promontoire. Comme le ciel était clément pour un mois de septembre ! L’air doux ramenait aux narines du jeune homme l’odeur de l’herbe fraîchement coupée et des foins que l’on roule en botte. Il n’avait pas vraiment le droit d’être ici. S’étant faufilé au pied de ce petit château à pierres blanches en passant par la forêt. Propriété privée, mais mal surveillée. Lors, il profitait du calme du parc, de la lumière qui jouait sur le cours d’eau et du chant des mésanges bleues. Tout à ses rêveries, il mit quelques secondes à voir la minuscule coccinelle qui depuis un long brin d’herbe avait vacillé dans l’onde. S’allongeant aussitôt sur le ventre, il réussit à la repêcher avec délicatesse sur le dos de sa main. L’infime créature semblait le fixer droit dans les yeux, détrempée et sidérée. Johan fredonna avec douceur, tout en soufflant légèrement sur l’insecte. – Coccinelle, demoiselle, bête à bon Dieu. Coccinelle, demoiselle, vole jusqu’aux cieux. La petite rescapée s’ébroua les ailes, fit quelques pas, hésita un instant, humant l’air ambiant. Johan répéta tendrement… – Coccinelle, demoiselle, bête à bon Dieu. Coccinelle, demoiselle, vole jusqu’aux cieux. La regardant s’élancer enfin, Johan la suivit autant qu’il lui était possible de la percevoir, le sourire aux lèvres. Puis, à nouveau, contemplant les nuages et la course du soleil, il perdit notion du temps. C’est un très léger bruit de froissement derrière lui qui le ramena sur la terre ferme. Il se retourna, une expression de chat pris la patte dans le pot au lait sur la face. Devant lui, une jeune femme très frêle, à la robe sombre piquée d’une myriade de minuscules points rouges. Comme sortie d’un livre d’images, elle le fixait, aussi surprise de le trouver là que lui d’être assis à ses pieds. Se souvenant qu’il n’avait absolument rien à faire ici, il présenta prestement ses excuses et se mit à détaler. Dans sa course, il jeta un œil par-dessus son épaule. Elle avançait d’un pas leste, le long de la berge, comme pour le regarder partir le plus longtemps possible. Il sentit comme un élan brûlant naître dans son cœur, mais il n’osa s’arrêter. Les bois l’accueillirent sous leur couvert épais et sombre. Dans un instant, il serait rendu par les chemins bordant les champs en sa maison. Sa nuit fut agitée. Il ne pouvait défaire ses souvenirs de cette apparition troublante. Les longs cils qui ourlaient le regard profond de la jeune femme papillonnaient vers lui encore et encore, dans cette expression de surprise émue. Tournant et retournant tout son être dans les draps et les songes, où qu’il se posât, elle revenait, sublime, mystérieuse et fascinante. À l’aube levée, ses pieds prirent la direction secrète, dans le silence de ses pensées. Il se répétait qu'il ne devait le faire mais rien ne semblait pouvoir l’ en empêcher… Lorsque les derniers tilleuls et frênes le déposèrent à l’orée du petit château assoupi de brume, son cœur se figea. Elle était là. Immobile. Dans une blanche robe sublime de pureté. Minuscule point de douceur attendant auprès de leur première rencontre. Il pressa sa course, dans sa poitrine, un plein bataillon de chevaux au galop. Les tempes embrouillées d’espoir, de crainte, de questions et peut-être d’une muette réponse intime. Lorsqu’il fut tout près d’elle, ils échangèrent un long et insoutenable regard. Le clapotis de la rivière à leurs pieds troublant à peine l’onde de leur immobile stupeur. Puis, Johan fit le premier pas. Elle, le second. Les suivants s’emmêlèrent dans un adorable enchevêtrement. Des visages qui se frôlent jusqu’aux lèvres qui s’enlacent, ils se soulevèrent du sol quelque part par delà les vents, les ombres et les étoiles. Au creux de leurs bras, ils s’aimèrent de murmure en murmure. Le Maître Soleil les aperçut de la pointe de ses doigts chauds, lovés, assoupis, dans la barque endormie. Pourtant, à son réveil, Johan ne trouva pas trace de sa belle. Maladroitement, il chut sur la berge, débraillé et encore moucheté de la tendresse de leurs baisers. Le cœur lourd, entendant venir de loin en loin, le jardinier. Il disparut par les fourrés. Incapable de trouver sommeil, il s’aventura une fois de plus, à la faveur d’une lune ronde et complice, à travers les sentiers que seul lui connaissait. Elle était à nouveau là, silencieuse sous Séléné, penchée vers l’eau sombre. Sa robe était d’un écarlate magnifique. Et ses gants noirs élégants et soyeux se posèrent sur les bras à demi nus de Johan. Au creux d’un décolleté qui laissa un goût de vertige au jeune homme, une gemme, jais et circulaire, semblait le toiser de son œil unique. Sa mystérieuse aimée portait sur les cils des larmes limpides et salées. Pas un mot. Mais dans la poitrine du garçon, un cœur qui se serre à en perdre la joie de vivre. Elle lui adressa un sourire tendre, triste, et infiniment doux. Cela ne le déchira qu’un peu plus. Ils s’enlacérent une toute dernière fois. Un nuage traversa l’orbe lunaire. Quand la nuit s’entrouvrit à nouveau, sa bien-aimée s’était envolée pour toujours. – Coccinelle, au revoir...


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